A la recherche d'espèces disparues sur l'île Rodrigues...

 

Stéphane Buord*

 

 

Les herbiers et les banques de graines du sol renferment de nombreuses graines particulièrement précieuses, notamment lorsqu'elles sont les derniers témoins d'espèces aujourd'hui éteintes. Or quelques travaux de recherche très ponctuels, entrepris sur la viabilité des semences conservées en herbier, ont révélé l'étonnante longévité des graines de certaines espèces courantes. Soutenu par l'Arche aux Plantes et Klorane Botanical Foundation, le Conservatoire botanique a donc décidé de rechercher ces graines anciennes d'espèces disparues puis de tenter de régénérer des plantes vivantes à partir de ces semences ou de possibles fragments encore vivants, ultimes vestiges de cette flore disparue.

 

 

 

Quelques précédents célèbres

 

 

 

Les graines présentent des longévités très différentes selon les espèces auxquelles elles appartiennent. Cette viabilité est fonction de plusieurs adaptations morphologiques (dont les téguments épais, imperméables à l'eau et à l'air) et physiologiques liées à leur écologie. Il est impossible de prédire la durée de vie d'une graine sans l'avoir testée mais des travaux précédents ont montré que certaines d'entre-elles pouvaient traverser le temps durant des décennies, voire des siècles, avant de germer.  Parmi les observations les plus surprenantes, on citera pêle-mêle les cas d'espèces dont les graines ont survécu en herbier (Nelumbo nucifera 250 ans, Cassia multijuga 158 ans, Albizia julibrissin 149 ans) ou dans des sols anciens (Chenopodium album et Spergula arvensis 1 700 ans, Hyoscyamus niger et Fumaria offinalis, 700 ans, etc.). Alors pourquoi ne pas imaginer retrouver des graines anciennes d'espèces disparues, enfouies dans le sol, pour tester leur germination..? L'idée étant là, il restait à trouver un lieu approprié à ce genre de recherches.  

 

 

L'île de Rodrigues

 

Rodrigues est la plus petite des îles principales de l'archipel des Mascareignes. Située à 583 km à l'est de l'Île Maurice, elle mesure 18 km de long sur 8 de large, ceinturée d'un immense lagon encore préservé de 200 km². On ne peut malheureusement pas en dire autant de l'environnement terrestre qui a subi de brutales et rapides dégradations depuis 1523, l'année où débarqua le navigateur portugais, Diogo Rodriguez, qui lui laissa son nom. L'exploitation intensive des ressources naturelles par les Hollandais, les Français puis les Anglais a conduit à une déforestation presque totale et à la disparition de très nombreuses espèces végétales et animales. Les tortues terrestres géantes, le Solitaire de Rodrigues, un oiseau proche du Dodo de Maurice, le Gecko diurne et de nombreuses autres espèces, toutes endémiques, ont disparu depuis le XVIème siècle. Rodrigues est le terrain idéal pour nos recherches.

 

 

Notre partenariat avec Mauritian Wildlife Foundation

 

Pourtant il subsiste encore, un peu partout sur l'île, des oasis forestiers que tentent de préserver notre partenaire local, Mauritian Wildlife Foundation (MWF), les forestiers, Rodrigues Regional Assembly et le Ministère de l'environnement rodriguais. Ce sont autant de petites réserves où subsiste la biodiversité native de l'île (Grande Montagne, Plaine Corail, Anse Quitor, Mont Lubin, l'Île aux Cocos, Cascade Mourouk…). L'essentiel de leurs actions de conservation consiste à éradiquer les espèces invasives qui agressent constamment ces îlots forestiers et à replanter sur ces terrains des essences indigènes cultivées dans les deux pépinières de l'île. Un travail de longue haleine… mais qui porte ses fruits comme peuvent le constater tous les visiteurs de la réserve de Grande Montagne où la faune recolonise progressivement les habitats naturels restaurés.

 

 

Prospection sur le terrain.                                                         Récolte de sol à la tarière.

 

 

Fort de ce partenariat avec Mauritian Wildlife Foundation, nous nous sommes lancés à la recherche des dernières localités connues dans la bibliographie et occupées par une dizaine d’espèces supposées éteintes par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (Euphorbia daphnoides, Nesogenes decumbens, Peperomia rodriguezi, etc...). Nos collègues rodriguais ont déjà prospecté plusieurs de ces sites selon un protocole de collecte et de culture défini à l'avance par le Conservatoire. Ce protocole est simple: recueillir au moyen d'une tarière des échantillons de sols, souvent sur une profondeur de 50 centimètres et, après tamisage en pépinière, mettre en culture le contenu dûment étiqueté de chaque carottage. Le suivi de ces tests de germination est plus délicat: il s'agit d'identifier chaque semis et de ne conserver que les levées les plus prometteuses ! 

 

 

Tamisage à la pépinière.                                               Recherche de graines.

 

 

Une aiguille dans une meule de foin ?

 

Nos premières recherches sur le terrain se sont concentrées sur les sédiments relativement anciens comme les lits de rivières ou les sols ou limons proches des cascades. Parmi les sites retenus: Cascade Saint Louis, Cascade Pigeon, Cascade Victoire et Anse Quitor à Plaine Corail. Bien que Rodrigues soit de faible dimension, chercher quelques graines si particulières semble s'apparenter à rechercher une aiguille dans une meule de foin. Pourtant l'enthousiasme de l'équipe l'emporte car ce type de recherches est tout à fait nouveau et exaltant.

 

Déjà une première découverte a été réalisée tout récemment par Alfred Begue, botaniste au MWF ! En testant les graines recueillies dans le substrat de Cascade Saint Louis, Alfred a obtenu des levées de Lobelia vagans, une espèce au bord de l'extinction et inconnue de ce point de l'île. Une belle surprise et une découverte pour nos collègues rodriguais qui ne la connaissaient que de nom !

 

 

Semis des graines récoltées.                                                                      Lobelia vagans (en herbier).

 

 

 

Ce résultat très encourageant maintient l'équipe en haleine, le travail se poursuit et nous espérons pouvoir vous donner bientôt d'autres nouvelles réjouissantes venues de l'Île Rodrigues.

 

 

*Stéphane Buord est directeur scientifique des missions internationales au CBN.